Histoire abrégée de la formation d’architecte paysagiste à l’Université de Montréal
- 16 avril 2025
- 60 ans de l'AAPQ
Dans le cadre du 60e anniversaire de l’AAPQ, la revue PAYSAGES de cette année portait sur le thème « 60 ans d’évolution ». Cet article en est issu et a été écrit par Nicole Valois, professeure en architecture de paysage à l’Université de Montréal.
Histoire abrégée de la formation d’architecte paysagiste à l’Université de Montréal
Plusieurs raisons font que l’histoire de la formation en architecture de paysage à l’Université de Montréal1 mérite d’être connue : d’abord, le contexte de sa création, soit celui des années 1960, vécu comme un moment crucial du développement des professions de l’aménagement au Québec; ensuite, parce qu’elle a contribué à forger la profession et les
architectes paysagistes de grand talent; et, finalement, parce qu’elle est la seule formation francophone en Amérique.

Au terme d’une recherche de longue haleine au cours de laquelle Ron Williams, Marie-Pierre Turcot et moi-même avons analysé les archives et mené des entrevues en 2020-2021, nous avons pu saisir les transformations et adaptations importantes qui ont eu cours au fil des ans, au gré des tendances et des enjeux de la discipline et des dimensions sociopolitiques et culturelles du Québec. Ainsi, seront présentées dans cet article les cinq grandes étapes de la formation que nous avons établies, allant de la création du programme jusqu’en 20212.

Phase 1 – de 1968 à 1978 : le design et la planification comme assises de la formation
En 1968, la Faculté de l’aménagement fut créée à l’Université de Montréal dans un contexte de transformation des paysages urbains et suburbains à travers le Québec. Alors qu’en périphérie des grandes villes, on érige des banlieues, des quartiers anciens de Montréal sont démolis pour faire place à de grands projets immobiliers et d’infrastructures. Ces projets, ainsi que les grands événements comme Expo 67, ont accentué la demande de services professionnels spécialisés dans le domaine de l’aménagement, y compris l’architecture de paysage.

Trois départements y sont d’abord inclus, soit l’Institut d’urbanisme, l’École de design et l’École d’architecture, au sein de laquelle se trouve la formation en architecture de paysage. La structuration de ce premier programme fut établie par l’architecte paysagiste Doug Harper à la demande de Guy Desbarats, fondateur de la Faculté3. S’inspirant des États-Unis, son programme mettra les ateliers au centre de la formation en misant sur le design et la planification régionale du paysage, deux champs de prédilection de la profession à cette époque. Cette assise de la formation persistera au fil des ans4.

Au dire des pionniers, l’embauche fut ardue, car on cherchait des enseignants ayant reçu une formation en architecture de paysage et parlant le français. La première personne engagée par Harper fut Danièle Routaboule, diplômée de la Section du paysage et de l’art des jardins de l’École nationale supérieure d’horticulture de Versailles et de l’Institut d’urbanisme de Paris-Sorbonne. Elle fut une actrice importante de l’implantation du programme dès 1968 et une figure essentielle de l’enseignement jusqu’en 1998. Par la suite, ont été embauchés durant cette période Benoît Bégin, Bernard Lafargue, Irène Cinq‑Mars, Fred Oehmichen, Ron Williams et Peter Jacobs.
Ces pionniers ont contribué à faire évoluer l’École avec une certaine harmonie et à marquer de leur influence la formation durant plus de 25 ans. Ils ont apporté leur influence et leur bagage de connaissances. Plusieurs avaient étudié avec de grands maîtres : Garrett Eckbo, Clare Cooper Marcus, Carl Steinitz, Hideo Sasaki, Jacques Gréber, Robert Auzelle et Max Sorre. Ils étaient influencés, entre autres, par l’approche fonctionnaliste du design, par la morphologie des sciences de la Terre et par les courants de la psychologie environnementale de la société civile.
Phase 2 – de 1978 à 1991 : consolidation du programme et stabilisation du nombre d’étudiants
En 1978, le programme prend son autonomie et devient une école. La consolidation du programme est marquée par la volonté d’accroître le nombre d’étudiants, de faire connaître la discipline et de répondre à la demande en formation spécialisée. Il est axé sur le design et la planification régionale, autour de quatre modalités : ateliers de design et planification régionale; cours théoriques en histoire, écologie et paysages; cours techniques en végétaux, nivellement et matériaux; et cours de connaissances procédurales comme le dessin.


L’une des stratégies était que chaque professeur avait la charge d’un des huit ateliers de design et le dirigeait en fonction de sa propre expertise. On était d’avis de mettre l’accent sur la méthodologie et le processus du projet en diversifiant les méthodes et de se pencher sur la composition comme assise du projet. La vision élargie du design faisait que l’atelier régional était un lieu d’union entre le design et le savoir scientifique, selon les participants aux entrevues. Vers la fin de cette période, l’idée de créer selon une expression forte de design en reflétant le vécu des gens en allant vers la singularité était au coeur des ateliers. Ce changement est survenu à la toute fin de cette période, soi-disant au contact d’Européens venus à l’École à titre d’invités et grâce aux rencontres lors de séjours d’études.
Bref, cette deuxième phase est une période où l’enseignement s’ouvre vers d’autres horizons, où le champ de pratique s’élargit et durant laquelle les premiers diplômés prennent leur place au sein des gouvernements ou des bureaux d’ingénieurs, ou en créant leur propre entreprise.
Phase 3 – de 1990 à 2000 : période d’expansion, d’innovation et de développement de la recherche
À cette période où le corps professoral est stable, le programme est bien établi et peu de modifications sont apportées à la structure des ateliers et des cours. Cette stabilité a été propice à l’innovation en matière de recherche et d’enseignement et mise au profit de la création de la mineure en design de jardins en 1996, soit un programme d’un an.
Des discussions s’amorcent en 1998 pour créer une maîtrise professionnelle en architecture de paysage, qui verra finalement le jour près de 15 ans plus tard. C’est dans les circonstances de ce renouveau que des conférenciers du monde entier furent accueillis, lors d’importants colloques comme « Les temps du paysage » en 1999, où l’on put entendre, entre autres, Bernard Lassus, Michel Conan, John Dixon Hunt et Yves Luginbühl.




Marquée par le développement de la recherche, dans la foulée de la conscience grandissante de la protection du patrimoine, de l’importance de l’analyse visuelle et de la caractérisation paysagère5, cette période a vu l’octroi de plusieurs contrats de recherche aux professeurs, en partenariat avec les villes et les ministères. La création de la chaire en paysage et environnement (CPEUM) en 1997 au sein de la Faculté apporte un nouveau souffle à la recherche. Les fondateurs Philippe Poullaouec-Gonidec et Michel Gariépy de l’Institut d’urbanisme ont créé des partenariats importants avec des organismes gouvernementaux au Québec impliquant un grand nombre de professeurs et d’étudiants.
Phase 4 – de 2000 à 2015 : refonte du programme et création de la maîtrise en architecture de paysage
La phase 4, qui commence en 2000, est caractérisée par une certaine instabilité, soit le roulement de plusieurs directeurs, le départ de professeurs pionniers et l’arrivée de nouveaux professeurs avec d’autres profils que celui d’architecte paysagiste de formation. Sur le plan des enseignements, on voit l’accroissement de l’usage de logiciels informatiques dans la production des dessins.

Le passage du baccalauréat de quatre ans à trois ans en 2011 et la création de la nouvelle maîtrise de deux ans en 2012 ont été des moments clés de cette période6.
Le baccalauréat de trois ans reprend les modalités des thèmes d’enseignement où les trois grands thèmes des cours théoriques sont maintenus : histoire, écologie et paysage, ainsi que la progression des échelles dans les ateliers. Le projet de fin d’études a été aboli au profit de deux ateliers intégrateurs, et des cours ont été ajoutés : géomatique appliquée, laboratoire d’informatique et horticulture. Le programme de trois ans n’est plus accrédité à partir de ce moment-là, au profit de la maîtrise.
Ces changements coïncident avec l’intégration de la recherche de type création dans l’enseignement, notamment par la tenue d’activités spéciales au niveau local et international avec les étudiants, notamment des ateliers ou des voyages d’études en France, Roumanie, Italie et ailleurs dans le monde
Les recherches menées par les professeurs deviennent plus substantielles, touchant les enjeux de patrimoine, de gestion et de mise en valeur des paysages, de phytotechnologie, d’infrastructures vertes et de conservation de la nature, ainsi que les enjeux sociaux du paysage.
Phase 5 – de 2015 à 2021 : fusion de l’École d’architecture de paysage et de l’Institut d’urbanisme
Cette dernière phase commence avec la fusion de deux départements de la Faculté de l’aménagement, soit l’École d’architecture de paysage et l’Institut d’urbanisme, afin de créer l’École d’urbanisme et d’architecture de paysage. Chaque unité garde néanmoins l’autonomie de ses programmes en raison des accréditations par leur association professionnelle respective.





Pour répondre à une exigence de l’agrégation de l’AAPC, une année de propédeutique est ajoutée pour accueillir des étudiants d’autres formations, à l’instar des autres formations au Canada.
Cette période est également marquée par l’ajout de nouveaux professeurs d’horizons divers, formés ailleurs dans le monde et au Canada. L’embauche de professionnels contractuels s’accroît, notamment pour les enseignements au baccalauréat; ce sont principalement eux qui forment les étudiants du baccalauréat alors que les professeurs enseignent surtout à la maîtrise.
Conclusion
Ce survol de l’histoire de l’École montre un progrès constant dans la formation des architectes paysagistes pour répondre aux besoins de la société québécoise et suivant les standards internationaux de la connaissance dans ce domaine.
Tout en ayant eu des liens avec l’architecture au début et vécu la fusion avec l’urbanisme plus tard, les programmes maintiennent leur autonomie et une continuité dans leur structure, soit les ateliers, qui sont au cœur des programmes, et un équilibre entre cours théoriques, techniques et de nature procédurale.
Enfin, souhaitons que ce travail de recherche sur l’histoire soit enrichi de contributions futures pour évoquer, par exemple, la contribution remarquable des professionnels contractuels dans l’enseignement, mettre en lumière des liens entre les réalisations des diplômés et la formation, et souligner l’apport de la recherche dans la pratique selon les enjeux globaux du paysage. On peut dire que la valeur d’un projet pour la formation est restée et restera sans doute la qualité de la réponse aux besoins exprimés par une collectivité, à laquelle s’ajoute aujourd’hui la réponse aux enjeux environnementaux planétaires.




Références :
[1] Les résultats de cette recherche ont été présentés au colloque Devenir paysagiste à l’École nationale supérieure de paysage de Versailles en juin 2022 et publiés dans la revue Projets de paysage. Cet article reprend en partie cette présentation et l’article, consultable en suivant le lien suivant : https://journals.openedition.org/paysage/27715
[2] La recherche sur l’histoire de l’École a nécessité un travail de deux ans dans les archives de l’Université ainsi que la tenue de six entretiens individuels avec d’anciens professeurs, dont cinq fondateurs (voir la bibliographie dans le texte original).
[3] Et sous la pression de toutes parts, soit par le Royal Architectural Institute of Canada et l’AAPQ, qui avaient explicitement recommandé la création de cette formation. À noter qu’à cette époque, les architectes paysagistes canadiens, parmi lesquels on compte Don Graham, Sasaki, Strong et James Secord, l’agence Project Planning Associates, Harper et Lantzius, avaient été formés ailleurs.
[4] Dans un texte de présentation, Harper écrit que l’enseignement doit refléter « le rapport entre l’homme et la terre, que sa superficie soit faible ou étendue, qu’elle soit urbaine ou rurale ».
[5] L’attribution du statut patrimonial du mont Royal a généré plusieurs contrats de recherche pour les professeurs, de même que le premier plan d’urbanisme de Montréal.
[6] La création de la maîtrise s’inscrivait dans la foulée de la tendance canadienne où la plupart des programmes accrédités par l’Association canadienne se situaient au niveau de la maîtrise.
L’AAPQ et Nicole Valois remercient les personnes ayant donné leur accord pour montrer l’évolution des projets étudiants dans les 60 dernières années.

Massé, D. 1984(c.) Approfondissement en design avec les végétaux : Exercice #5. Archives de l’École d’urbanisme et d’architecture de paysage.